[Philosophie] Rasoir d’Ockham
Comme d’habitude, l’article de wikipedia et ensuite des vidéos !
J’ai rajouté des morceaux de sujets « similaires » 🙂
Le rasoir d’Ockham ou rasoir d’Occam est un principe de raisonnement philosophique entrant dans les concepts de rationalisme et de nominalisme.
Le terme vient de « raser » qui, en philosophie, signifie « éliminer des explications improbables d’un phénomène » et du philosophe du xive siècle Guillaume d’Ockham.
Également appelé principe de simplicité, principe d’économie ou principe de parcimonie (en latin « lex parsimoniae »), il peut se formuler comme suit :
Pluralitas non est ponenda sine necessitate
(les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité)
Une formulation plus moderne est que « les hypothèses suffisantes les plus simples doivent être préférées ».
C’est un des principes heuristiques fondamentaux en science, sans être pour autant à proprement parler un résultat scientifique.
Dans le langage courant, le rasoir d’Ockham pourrait s’exprimer par la phrase « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? ».
Cependant, « la simplicité » dont il est question ici ne signifie pas que l’hypothèse la plus simpliste, la plus évidente ou la plus conventionnelle soit forcément la bonne. Le rasoir ne prétend pas désigner quelle hypothèse est vraie, il indique seulement laquelle devrait être considérée en premier.
La rationalité est aujourd’hui comprise comme la pratique de la logique à laquelle on a adjoint le principe de parcimonie.
Ce principe, ou principe d’économie d’hypothèses, implique que lorsqu’un chercheur propose « une inférence sur le monde réel, le meilleur scénario ou la meilleure théorie est celui qui fait intervenir le plus petit nombre d’hypothèses ad hoc, c’est-à-dire hypothèses non documentées ».
Le rasoir d’Ockham tient son nom du frère franciscain anglais Guillaume d’Ockham (v. 1285 – 9 avril 1347), philosophe et logicien qui le formula, bien que ce concept fût connu au moins depuis le Grec Empédocle (ve siècle av. J.-C.).
Il est parfois orthographié « rasoir d’Occam », ces deux graphies du nom du philosophe étant acceptées.
Le principe tel que formulé par Guillaume d’Ockham est « Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité » (Pluralitas non est ponenda sine necessitate), dans son ouvrage Quaestiones et decisiones in quatuor libros Sententiarum cum centilogio theologico, livre II (1319).
L’énoncé Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem, littéralement « Les entités ne doivent pas être multipliées par-delà ce qui est nécessaire », est une variante souvent attribuée à Guillaume d’Ockham, sans cependant qu’il y en ait trace dans ses écrits.
Des principes proches du rasoir d’Ockham ont été formulés bien avant ce philosophe :
- Aristote : « Il vaut mieux prendre des principes moins nombreux et de nombre limité, comme fait Empédocle » (Physique, Livre I, 4, 188a17)
- adage scolaire dérivé d’Aristote : « C’est en vain que l’on fait avec plusieurs ce que l’on peut faire avec un petit nombre. Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora. » Cité par Guillaume d’Ockham (Summa totius logicae, I, 12) (1323)
- Thomas d’Aquin (1225-1274) : « […] ce qui peut être accompli par des principes en petit nombre ne se fait pas par des principes plus nombreux… (quod potest compleri per pauciora principia, non fit per plura » (Summa Theologiae, Prima Pars, Q.2 art.3 -AG2).
Le rasoir d’Ockham sera également abondamment repris après lui :
- Étienne Bonnot de Condillac (1715-1780), en 1746, utilisa pour la première fois l’expression « rasoir des nominaux » dans une note en bas de page de son livre Essai sur l’origine des connaissances humaines (Ire part., sect. V, § 5, note a)
- Ernst Mach : « Les savants doivent utiliser les concepts les plus simples pour parvenir à leurs résultats et exclure tout ce qui ne peut être perçu par les sens. »
- le canon de Morgan (1852-1936) énonce qu’« une activité comportementale ne doit en aucun cas être interprétée comme la conséquence d’une faculté mentale élaborée, si la même activité comportementale peut être conçue comme le fruit d’une activité mentale moins élevée. »
- Bertrand Russell (1914) : le rasoir d’Ockham est « la maxime méthodologique suprême lorsqu’on philosophe » (On the Nature of Acquaintance, p. 1455)
- Ludwig Wittgenstein (1921) : « Si un signe n’a pas d’usage, il n’a pas de signification. Tel est le sens de la devise d’Occam. (Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c’est qu’alors il en a une.) » (Tractatus logico-philosophicus, 3.3286)
- Albert Einstein (1934) : « Tout doit être le plus simple possible, mais pas plus simple que ça. »
Cependant lorsqu’une erreur se glisse dans les propositions de départ, utiliser le rasoir d’Ockham peut s’avérer par la suite une erreur.
Le principe du rasoir d’Ockham consiste à ne pas utiliser de nouvelles hypothèses tant que celles déjà énoncées suffisent, à utiliser autant que possible les hypothèses déjà faites, avant d’en introduire de nouvelles, ou, autrement dit, à ne pas apporter aux problèmes une réponse spécifique, ad hoc, avant d’être (pratiquement) certain que c’est indispensable, sans quoi on risque de complexifier le problème, et de passer à côté d’un théorème ou d’une loi physique.
« Nous ne devons admettre comme causes des choses de la nature au-delà de ce qui est à la fois vrai et suffisant à en expliquer l’apparence » (Isaac Newton).
On traduit souvent ce principe sous la forme d’une préférence de l’hypothèse « la plus simple » parmi toutes celles qui sont échafaudées, mais il convient d’approfondir différents points :
- ce n’est pas (seulement) la simplicité d’une hypothèse qui compte ; étant donné un ensemble déterminé de conclusions, c’est la simplicité (faible complexité) de l’ensemble des hypothèses faites pour aboutir à ces conclusions.
Par exemple, les mathématiciens ont cherché à déduire le cinquième postulat d’Euclide à partir des quatre premiers, ce qui s’est avéré finalement vain et a conduit à désigner ce postulat comme le cinquième axiome - l’hypothèse d’un contrôle divin permanent sur les mouvements célestes paraît, à première vue, plus simple que les lois de la physique.
Toutefois, elle implique qu’on y postule l’existence d’un dieu, ce qui introduit des éléments supplémentaires de complexité : d’où vient-il ?
Quelles sont ses intentions ? Etc.
Elle ne répond même pas au problème de départ puisqu’elle ne permet de tirer aucune conclusion : les choses sont ainsi parce qu’elles ont été voulues ainsi - le même principe est utilisé pour affirmer que la sélection naturelle est plus simple pour expliquer la vie que l’existence d’un dieu, selon Richard Dawkins, éthologiste évolutionniste.
La création du monde telle que relatée dans le Livre de la Genèse est en apparence simple, mais elle introduit des problématiques supplémentaires par rapport aux explications de la science.
Si les animaux n’ont jamais évolué, on peut se demander comment des espèces dont on connaît l’existence grâce aux fossiles ont pu disparaître.
Par ailleurs, la Bible relate que l’Homme fut créé juste après les animaux, ce qui signifie qu’il fut contemporain des dinosaures et pose des problèmes de datation et de chronologie - la simplicité de l’interprétation en univers multiples d’Hugh Everett, postule implicitement un espace de fonctionnement complexe, avec un univers qui ne cesse de fourcher exponentiellement à chaque temps de Planck.
Seule la confirmation ou l’infirmation de prédictions (David Deutsch) permettra d’en établir ou non une réalité physique distincte de ce que donne le modèle de Copenhague.
Elle se confond pour le moment avec lui en termes opérationnels - l’idée du rasoir n’est pas de supprimer purement et simplement des principes pour en diminuer le nombre, mais de densifier ceux qui restent afin qu’ils incluent tous les autres
- le rasoir est illustré notamment par la théière de Russell
(Si l’image de la théière est de lui, cet argument n’est cependant pas spécifique à Russell, on le trouve par exemple au xviiie siècle au tout début du testament de Jean Meslier.)
L’idée est une hypothétique théière en orbite autour du Soleil, entre la Terre et la planète Mars ; selon Russell, y croire (et demander aux gens d’y croire) sous prétexte qu’il n’est pas possible de prouver sa non-existence est insensé.
La théière de Russell est une illustration du rasoir d’Ockham.
Le concept de la théière de Russell a été extrapolé au comique, plus particulièrement au travers de la Licorne rose invisible, du Monstre en spaghetti volant et du culte du Canard en plastique jaune de Leo Bassi.
Le musicien et poète Daevid Allen du groupe Gong utilise l’image d’une théière volante en couverture de l’album Flying Teapot, et se réfère à la théière de Russell dans son livre Gong Dreaming 2: The Histories & Mysteries of Gong from 1969-1975.
Principe
Selon Bertrand Russell
Dans un article intitulé « Is There a God? », écrit pour un numéro de l’Illustrated Magazine de 1952 (mais qui ne fut jamais publié), Bertrand Russell écrivait :
« De nombreuses personnes orthodoxes parlent comme si c’était le travail des sceptiques de réfuter les dogmes plutôt qu’à ceux qui les soutiennent de les prouver.
Ceci est bien évidemment une erreur.
Si je suggérais qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j’aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes.
Mais si j’affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n’est pas tolérable pour la raison humaine d’en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé.
Cependant, si l’existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l’école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d’excentricité et vaudrait au sceptique les soins d’un psychiatre à une époque éclairée, ou de l’Inquisiteur en des temps plus anciens. »
Selon Richard Dawkins
Photomontage reprenant l’une des illustrations de la plaque de Pioneer et remplaçant le parcours de la sonde par la théière de Russell.
La phrase I want to believe est, entre autres, une référence à la série télévisée The X-Files.
Dans son livre A Devil’s Chaplain, édité en 2003, Richard Dawkins détailla ainsi le thème de la théière :
« La religion organisée mérite la plus vive hostilité car, contrairement à la croyance en la théière de Russell, la religion organisée est puissante, influente, exemptée de taxes et systématiquement transmise à des enfants trop jeunes (le catéchisme commence à 7 ans) pour pouvoir s’en défendre.
On ne force pas les enfants à passer leurs années de formation en mémorisant des livres farfelus sur les théières.
Les écoles publiques n’excluent pas les enfants dont les parents préfèrent la mauvaise forme de théière.
Les fidèles de la théière ne lapident pas les non-croyants en la théière, les apostats de la théière, les hérétiques de la théière ou les blasphémateurs de la théière.
Les mères n’empêchent pas leurs fils d’épouser des shiksas de la théière sous prétexte que leurs parents croient en trois théières plutôt qu’une seule.
Ceux qui versent le lait en premier ne mutilent pas ceux qui préfèrent commencer par verser le thé. »
Il mentionne aussi la théière de Russell dans son livre Pour en finir avec Dieu. Lors d’une conférence TED en 2002, il a ajouté :
« […] Strictement parlant, vous devriez être agnostique sur la question de l’existence d’une théière en orbite autour de Mars, mais cela ne signifie pas que vous considériez la probabilité de son existence comme étant égale à celle de sa non-existence.
La liste des choses à propos desquelles nous devons être agnostiques strictement parlant ne s’arrête pas aux petites souris et aux théières.
Elle est infinie.
Si vous voulez en croire une en particulier, les licornes, les petites souris, les théières ou Yahvé, il vous incombe de le justifier.
Il n’incombe pas au reste d’entre nous de dire pourquoi nous n’y croyons pas.
Nous, les athées, sommes aussi des a-souristes et des a-théièristes. […] »
Il s’agit en fait d’une application directe du théorème de Bayes, où l’hypothèse la plus simple a reçu la probabilité a priori la plus forte.
Par ailleurs, si le rasoir d’Ockham est une méthode efficace pour obtenir une bonne théorie prédictive, il ne garantit aucunement la justesse d’un modèle explicatif. Notamment le rasoir d’Ockham peut souvent inviter à négliger la différence entre causalité et corrélation.
Cette nuance entre théorie prédictive et théorie explicative est souvent illustrée par ce dialogue célèbre mais probablement apocryphe :
Napoléon : « Monsieur de Laplace, je ne trouve pas dans votre système mention de Dieu. »
Laplace : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. »
D’autres savants ayant déploré que Laplace fasse l’économie d’une hypothèse qui avait justement « le mérite d’expliquer tout », Laplace répondit cette fois-ci à l’Empereur :
Laplace : « Cette hypothèse, sire, explique en effet tout, mais ne permet de prédire rien. En tant que savant, je me dois de vous fournir des travaux permettant des prédictions ».
La science actuelle, quand elle se satisfait de modèles prédictifs, fait bon usage du rasoir d’Ockham. Mais utiliser celui-ci pour choisir une théorie explicative est dangereux dans la mesure où une mauvaise théorie explicative peut sérieusement retarder les développements ultérieurs13.
Ludwig Wittgenstein, dès le Tractatus logico-philosophicus a opéré une importante critique d’un certain scientisme (notamment russellien) qui consistait à considérer la devise d’Occam comme une « maxime de la philosophie scientifique » qui nous autoriserait de pourchasser les entités surnuméraires.
Or pour Wittgenstein, ce n’est certainement pas une maxime que l’on peut se proposer d’utiliser (parce qu’alors on pourrait la refuser) : c’est bien une « devise », elle s’applique d’elle-même :
« 3.32814 – « Si un signe n’a pas d’usage, il n’a pas de signification. Tel est le sens de la devise d’Occam.
(Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c’est qu’alors il en a une.) »
5.4732115 – « La devise d’Occam n’est naturellement pas une règle arbitraire, ou justifiée par son succès pratique : elle déclare que les unités non nécessaires d’un système de signes n’ont aucune signification.
Des signes qui ont un seul et même but sont logiquement équivalents, des signes qui n’ont aucun but sont logiquement sans signification. »
L’induction de Solomonoff est une formalisation mathématique et une preuve du rasoir d’Ockham, sous l’hypothèse que l’environnement suit une loi de probabilité inconnue mais calculable.
Les théories calculables les plus courtes ont un plus grand poids dans le calcul de la probabilité de l’observation suivante, en utilisant toutes les théories calculables qui décrivent parfaitement les observations précédentes.
La confusion entre corrélation et causalité est appelée effet cigogne en zététique (en référence à la corrélation trompeuse entre le nombre de nids de cigognes et celui des naissances humaines) ; en science et particulièrement en statistique cette erreur est rappelée par la phrase « la corrélation n’implique pas la causalité », en latin : cum hoc sed non propter hoc (avec ceci, cependant pas à cause de ceci).
Principe
L’argument fallacieux peut être résumé ainsi :
- L’événement A est corrélé à l’événement B.
- Donc A cause B.
Le sophisme consiste à conclure sur la causalité seulement après avoir constaté la corrélation.
En soi, affirmer de façon asymétrique que l’un des événements est corrélé à l’autre, plutôt qu’une énonciation symétrique « les deux événements sont corrélés », est déjà porteur du sophisme.
Ce dernier peut en effet se résoudre selon au moins quatre autres possibilités :
- B peut être la cause de A
- un troisième facteur, inconnu, non conscientisé ou non révélé, peut être la cause commune de A et de B
- une simple coïncidence (par exemple : il n’y a pas d’autre relation entre A et B à part qu’ils se sont produits au même moment)
- B peut être la cause de A et en même temps A être la cause de B ; le système se renforce lui-même, ce qui contredit que seul A cause B (la conclusion du sophisme est dans ce cas incomplète)
Il n’est pas possible de conclure qu’il existe une relation de cause à effet entre deux événements seulement du fait que l’un et l’autre sont corrélés.
Déterminer s’il existe effectivement une causalité requiert d’autres investigations.
Exemples
Corrélation entre température moyenne et nombre de pirates.
- Il y a une corrélation entre la pointure et le niveau en mathématiques chez les collégiens (le troisième paramètre est l’âge des adolescents)
- Il existe une corrélation entre la vente de crème glacée et le nombre de morts par noyade (le troisième paramètre est la météo).
- Une étude scientifique annonce :
« les jeunes enfants qui dorment avec une veilleuse ont plus de chance de devenir myopes plus tard. ».
Cette étude de l’Université de Pennsylvanie a été publiée le 13 mai 1999 dans la revue Nature et a fait l’objet d’une couverture médiatique.
Cependant, une autre étude de l’Université de l’Ohio réalisée plus tard n’a trouvé aucun lien entre le développement de la myopie et le fait de dormir la lumière allumée ; en revanche, elle montre un lien important entre la myopie des parents et celle de leurs enfants et remarque que les parents myopes ont tendance à laisser une lumière allumée la nuit pour leurs enfants. - Le pastafarisme explique que le réchauffement climatique est une conséquence directe du déclin de la population de pirates en s’appuyant sur une corrélation inverse entre la population de pirates et la température moyenne sur Terre.
- Le site « Spurious Correlations » recherche et publie diverses corrélations saugrenues, dont une corrélation entre le budget américain en science, aérospatial et technologie et le nombre de suicides par pendaison, étranglement ou suffocation ou encore celle entre le taux de divorce dans le Maine et l’évolution de la consommation de margarine aux États-Unis
Entre -367 et -361 avant J.-C., Platon, dans Le Politique, dénie à la brièveté du raisonnement une priorité intrinsèque par rapport à sa longueur.
L’Etranger d’Elée, bouche de Platon dans le dialogue, cherche à convaincre Socrate le Jeune que les arguments accumulés dans la discussion, sans un rapport direct avec le sujet, ne sont pas « inutiles » et surérogatoires (283b) :
« XXIV. – L’ETRANGER : Bon. Mais alors pourquoi donc n’avons-nous pas répondu tout de suite : « Le tissage est l’entrelacement de la trame avec la chaîne », au lieu de tourner en cercle et de faire tant de distinctions inutiles ?
– SOCRATE LE JEUNE : Pour moi, étranger, je ne vois rien d’inutile dans ce qui a été dit.
– L’ETRANGER : Je ne m’en étonne pas ; mais il se peut, bienheureux jeune homme, que tu changes d’avis.
Contre une maladie de ce genre, si par hasard elle te prenait par la suite – et il n’y aurait à cela rien d’étonnant –, je vais te soumettre un raisonnement applicable à tous les cas de cette sorte. »
Ainsi, selon Platon, ce n’est ni la longueur, ni la brièveté du raisonnement qui détermine sa pertinence argumentative, mais sa « convenance » (286c) par rapport à la mesure du discours, en l’occurence la qualité de la dialectique.
On ne doit donc pas s’émouvoir de l’accumulation des hypothèses : le risque du principe de parcimonie est d’affecter l’inventivité de l’auditeur (287 a-b) :
« – L’ETRANGER : […] Car nous n’aurons nul besoin d’ajuster la longueur de nos discours au désir de plaire, sinon accessoirement, et quant à la manière la plus facile et la plus rapide de chercher la solution d’un problème donné, la raison nous recommande de la tenir pour secondaire et de ne pas lui donner le premier rang, mais d’estimer bien davantage et par-dessus tout la méthode qui enseigne à diviser par espèces, et, si un discours très long rend l’auditeur plus inventif, de le poursuivre résolument, sans s’impatienter de sa longueur ; et sans s’impatienter non plus, s’il se trouve un homme qui blâme les longueurs du discours dans des entretiens comme les nôtres et n’approuve point nos façons de tourner autour du sujet, il ne faut pas le laisser partir en toute hâte et tout de suite après qu’il s’est borné à blâmer la longueur de la discussion ; il lui reste à faire voir qu’il y a des raisons de croire que, si elle eût été plus courte, elle aurait rendu ceux qui y prenaient part plus aptes à la dialectique et plus ingénieux à démontrer la vérité par le raisonnement. »
Le critère ici avancé par Platon contre le principe de parcimonie est donc sa nuisance à l’inventivité de l’auditeur et, plus largement, à l’exercice de la dialectique (285d). L’opposition de Platon au principe de parcimonie érigé comme fin suffisante du discours se retrouve dans ses nombreuses digressions dans ses différents dialogues, digressions qui, chacune, sont en fait d’une importance capitale en ce qu’elles « ouvrent le Logos à une autre dimension, comme si, en « évoluant » autour d’un objet, la pensée prenait de la hauteur. »
Moyen Âge
Walter Chatton était un contemporain de Guillaume d’Ockham qui contestait la théorie de ce dernier et proposa son anti-rasoir, en expliquant que la quantité des moyens de vérifier une proposition ne doit être épuisée qu’une fois que l’on s’est bien assuré d’avoir fait le tour du sujet :
« Si trois choses ne sont pas suffisantes pour vérifier une proposition affirmative sur des choses, une quatrième doit être ajoutée, et ainsi de suite. »
XXe siècle
Plus tard, le mathématicien Karl Menger formule une « loi contre l’avarice » (« Les entités ne doivent pas être réduites au point d’insuffisance » et plus généralement : « Il est vain d’essayer de faire avec moins ce qui requiert plus ») et démontre que parfois trop de concepts différents sont unis sous un seul terme (par ex. : « variable »).
Sans être fondamentalement « anti-rasoir », Stephen Jay Gould, dans le Pouce du Panda, pense que « […] les explications les plus simples ne [sont] pas toujours vraies dans notre monde aussi prodigieusement complexe […]. »
Dans la même veine, Eugene Koonin, dans The Logic of Chance, précise que « Le principe de parcimonie est contestable parce qu’il existe de nombreux arbres [phylogénétiques] qui sont seulement à peine moins parcimonieux que le meilleur mais qui présentent une topologie différente ».
- le principe d’économie cognitive
- le principe de la moindre action
- le phénomène de surapprentissage en apprentissage (machine learning), domaine de l’informatique
- le principe cosmologique (l’observateur n’a pas de raison de croire a priori qu’il occupe une position privilégiée)
- KISS, en ingénierie, qui en est une application directe
Ce principe est appliqué dans un grand nombre de disciplines telles que le développement logiciel, l’animation, le journalisme, la photographie, l’ingénierie, l’aviation et la planification stratégique.
Il est important de noter que le principe KISS proscrit les seules complexités non indispensables.
Paradoxalement, tenter d’utiliser des moyens simples pour résoudre un problème complexe peut conduire à une complexité encore plus grande.
Il s’agit d’un écueil classique auquel peut conduire une application trop naïve du principe KISS.
La complexité, souvent utile pour assurer de bonnes performances, est en effet elle-même une source de coûts de conception et de maintenance, ainsi qu’une source potentielle d’erreurs.
L’idée est de ne pas optimiser quoi que ce soit avant de maîtriser totalement une version simple de ce que l’on crée.
Dans le produit fini, la simplicité d’usage, même au prix du renoncement à quelques fonctionnalités, est aussi un moyen de séduire l’utilisateur qui maîtrisera pour sa part l’usage du produit.
Variantes en anglais et traductions
Appelé KISS principle en anglais, l’acronyme KISS est décliné en :
- Keep it simple, stupid : « laisse-le simple, stupide »
- Keep it stupidly simple : « laisse-le stupidement simple »
- Keep it stupid simple : « laisse-le stupidement simple »
- Keep it simple and stupid : « laisse-le simple et stupide »
- Keep it simple, silly : « laisse-le simple, idiot »
- Keep it small and simple : « laisse-le simple et bref »
- Keep it sweet and simple : « laisse-le simple et agréable »
- Keep it simple and straightforward : « laisse-le simple et direct »
- Keep it short and simple : « laisse-le simple et court »
- Keep it simple and smart : « laisse-le simple et intelligent »
- Keep it strictly simple : « laisse-le strictement simple »
- Keep it speckless and sane : « laisse-le sain et impeccable »
- Keep it super-simple : « laisse-le super-simple »
- Keep it sober and significant : « laisse-le sobre et explicite »
- Keep it short and sweet : « laisse-le court et sympa ».
- Keep information security simple : « garde simple la sécurité des informations »
- Keep it safe and simple : « laisse-le sûr et simple »
En informatique
Il est utilisé comme principe de développement de logiciels, pour rappeler aux développeurs qu’un programme simple est plus facile à maintenir et à comprendre.
Dans The New Hacker’s Dictionary, ce terme est quelquefois utilisé lors d’un projet de développement logiciel pour éviter la sur-inflation fonctionnelle d’un logiciel (« feature creep » en anglais).
Selon Eric S. Raymond, la philosophie d’Unix se résume à ce principe qui s’applique au monde informatique Unix.
Sous un système d’exploitation de ce type, il peut s’illustrer par le fait qu’un shell propose beaucoup de petits utilitaires faisant des choses simples (ls, grep, find, cut, wc…) et un moyen de les combiner, le pipe (|).
Ce principe apparait aussi dans le Zen de Python, les principes de design de logiciel du langage de programmation Python, sous la forme « Préfère… le simple au complexe [et]… le complexe au compliqué ».
Concepts liés
On peut en donner une illustration à travers le principe du rasoir d’Occam.
« La simplicité est la sophistication suprême » soutenait également Léonard de Vinci dans sa variante du rasoir d’Occam, réduisant le besoin de sophistication en l’égalant à la simplicité.
Selon Antoine de Saint-Exupéry : « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher », Terre des hommes, chap. III, 1939.
L’adage « pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? » — ou l’expression ironique inverse (devise shadok) : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » — est assimilable au principe KISS.
On pourrait aussi mentionner la phrase célèbre de Nicolas Boileau dans son œuvre l’Art poétique :
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément.
- Léonard de Vinci : « La simplicité est la sophistication suprêmenote »
- Dan Simmons, rejetant le Rasoir d’Ockham au profit d’un axiome inverse :
« Toutes choses étant égales par ailleurs, la solution la plus simple est généralement une ânerie. » - Paul Valéry : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre. »
« La plus ancienne falsification philosophique fut d’appeler Vrai, le logiquement correct. » - H. L. Mencken : « Pour chaque problème complexe, il existe une solution simple, directe… et fausse. »
- Antoine de Saint-Exupéry : « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. »
- Ludwig Mies van der Rohe : « Less is more. »
- Lucien Jerphagnon, Histoire des grandes philosophies, 1980 :
« […] Voilà qui permet de comprendre ce fameux principe d’économie, passé à la postérité sous le nom de « rasoir d’Ockham ».
« Il ne faut jamais poser une pluralité sans y être contraint par la nécessité » ou comme on l’énonce souvent : « il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité ».
C’est en vertu de ce principe qu’Ockham pourchasse dans les moindres recoins de la philosophie et de la théologie les pseudo-essences et pseudo-causes que ses prédécesseurs avaient inutilement multipliées. » - l’astrophysicien Hubert Reeves le cite dans un ouvrage de vulgarisation scientifique :
« Si deux théories expliquent également bien un résultat, il convient de « trancher » en faveur de la plus simple »
Par exemple, le rasoir est également préconisé dans la série télévisée Dr House (2004-2012), dont le personnage éponyme accorde une grande importance à la logique et au rationalisme : « Quand tu entends des sabots, pense cheval, pas zèbre ».
La même métaphore se retrouve dans le film Red Lights (2012) : « Quand j’entends les battements de sabots, je ne pense pas licornes, je pense chevaux ».
De façon plus légère encore, le rasoir d’Ockham est parodié et inversé dans la série animée Les Shadoks (1968-1973), dont l’une des devises est : « Pourquoi se compliquer la vie à faire simple quand il est si simple de faire compliqué ? ».
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